Observation 1: un voleur si gentil
C'est mercredi. Il est 19h00. Je quitte le boulevard du 30 juin et m'engage sur l'avenue des huileries. Beaucoup de véhicules sur la chaussée, mais le trafic est étonnamment fluide. Il y a des jours où, disons heu..., c'est nettement plus difficile.
Je vais où encore? Ah, tiens, je me souviens: je compte aller m'acheter les bingwele, la chikwangue quoi, au pont Kasa-Vubu. J'y ai habitudes et vendeuses qui reconnaissent de loin le vehicule que j'emprunte à mon oncle. Alors, elles se ruent vers moi. La vendeuse la plus autoritaire qui a décrété, sans me consulter, que je suis son client bouscule la rangée de vendeuses qui me présentent la chair blanche écarlate de leur produit, subjuguant mon regard à en loucher, titillant mes narines de cette senteur de manioc, excitant mes papilles gustatives et faisant déverser de mes glandes salivaires leur contenu dans ma bouche en demande...
Elle crie de sa voix puissante: "allez, dégagez, c'est mon client!" La première fois, j'en ai été surpris. Depuis quand je suis "son" client à qui personne d'autre qu'elle ne doit proposer la chikwangue? Pourquoi cette espèce de docilité des autres vendeuses qui ne mouftent pas et regagnent chacune son étalage. Je n'avais pas fini de me questionner qu'elle exhibait déjà la blancheur crayeuse de sa chikwangue. J'ai aquiescé de la tête. Aussitôt, deux paquets de 5 chikwangues étaient propulsés sur le siège passager. J'ai protesté: "Madame, je n'ai besoin que d'un seul paquet. Le paquet de vente forcée et prestement retirée.
Je vais de surprise en surprise: je lui règle les 5000 francs reclamés, c'est alors qu'elle se fend d'une proposition (calmez-vous, mesdames et messieurs, rien de ce que votre esprit s'imagine). Elle m'offre un avantage de fidélité pour client:
Écoutez, papa
"Monsieur" n'est pas dans les mœurs. On est tout de suite projeté dans l'arbre généalogique de son interlocuteur(rice). Alors va, pour papa. Le plus contrariant, m'a confié un ami de retour au pays après une quarantaine d'années à l'étranger, c'est "Vieux". Il s'est dit: ça y est, l'insulte du temps se voit...).
Ma vendeuse-sergent-chef poursuit:
-Si, un jour, vous n'avez pas de quoi payer, ne vous inquiétez pas, je vous vendrais à crédit. Vous m'avez l'air sérieux, vous.
Je la remercie poliment. Mais, voyons, avoir une tête d'honnête homme, qui refuserait? Même pas le plus retors des politiques. Mais porter la pancarte de fauché chronique au point de susciter la compassion de cette brave dame, entre nous, avouez qu'il y a une marge que je crains d'avoir franchi. Je baisse le rétroviseur et m'examine. Pourtant, je garde encore ma tête de surveillant de grands séminaristes.
Mais tout cela nous a bien éloignés de ce mercredi soir. Vous vous en souvenez? Ok. Alors on poursuit. Où en étais-je d'ailleurs, tête de surveillants de grands séminaristes lubriques? Ah, ça me revient
Je continue allégrement ma progression, savourant dans cet habitacle climatisé les anciennes chansons de l'OK Jazz, de l'African Fiesta, celui de Rochereau et celui de Nico, bien évidemment de Thu-Zaïna et Zaïko.
Mais, chassez le naturel... me voilà en plein embouteillage dans l'entrecroisement de l'avenue des Huileries avec les avenues Kalembe-Lembe et Kabambare. On avance par centimètre, pare-choc contre pare-choc. Les motards se faufilent à gauche, à droite, s'insinuent dans le moindre interstice qu'ils trouvent. Tout sauf rien, pourvu qu'ils avancent. Leurs clients, calés derrière lui, sont leurs premiers et non moins virulents avocats qui vous renvoient sans ménagement refaire votre éducation auprès de vos parents, dès que vous osez faire la moindre infinitésimale remarque à leur pilote. Alors, se taire, regarder et pleurer dans son cœur en levant les yeux au ciel, de requête ou de dépit: si j'étais..., j'y mettrais bon ordre. Et c'est là que les vers de ce bon Molière, non pas celui qui se répand en diatribes, une fois loin des travées des l'assemblée nationale, mais le vrai, le cher Jean-Baptiste me reviennent :
"On n'exécute pas tout ce qui se propose:
Et le chemin est long, du projet à la chose."
En attendant, il faut surveiller, tout voir sur les rétroviseurs gauche et droite. Au cas où on déboîterait vers la gauche ou la droite, il faudrait s'assurer que l'un de ces cavaliers n'a pas déjà lancé sa monture au galop.
De mon rétroviseur droit, je vois s'approcher un jeune homme, la vingtaine. Il arrive à la hauteur de la portière, côté passager. Il donne deux petits coups à la vitre remontée. Il esquisse des gestes, il touche sa gorge et tend une main. Je comprends qu'il veut quelque chose pour s'acheter à boire. De l'eau ou de l'alcool, de quoi je me mêle. Je lui reponds que je n'ai pas d'argent en écartant mes 2 mains avant de les reposer sur mes cuisses, paumes vers le haut. Le regard neutre de ce jeune homme se transforme: on peut percevoir de ces yeux, comme une colère refoulée. Il me parle à haute voix. En dépit des vitres levées, j'entends distinctement ce qu'il me dit:
-Comme tu n'as rien voulu me donner, je prends le rétroviseur !
Je proteste, mais peine perdue. Sans précipitation, avec la dextérité de quelqu'un qui a acquis du métier, il enlève la glace du rétroviseur, fait le tour de la voiture, traverse Huileries sans aucun empressement et disparaît dans la foule. Je suis debout à la portière. Tout ce que jeux faire, c'est me gratter la tête.
Le poursuivre? Hors de question: je ne le rattrapperais jamais, je pourrais être pris à parti par quelques-uns de ses "collègues" et quand, tout ensanglanté, je regagnerais le véhicule, il ne reposera plus que sur les rotules, totalement "cannibalisé", comme on dit ici. Je regarde les autres automobilistes autour, témoins de premier rang de ce dépouillement contraint. Je recueille ici un regard de commisération, là un haussement fatigué d'épaules, là encore le même signe des mains écartées, paumes en haut, sourcils relevés. L'incivisme est en cours accéléré de banalisation.
La colonne devant s'ébranle. J'avance. Mais la circulation se densifie sur ce tronçon. Je me traîne, l'esprit partagé entre l'audace inouïe de ce jeune voleur et mon organisation du lendemain pour faire remplacer ce qui a été emporté. J'arrive laborieusement à la hauteur de la station-service, située à droite de la chaussée. Plus rien ne bouge. Ni devant moi, ni sur Assosa, encore moins sur Triomphal. Le projet chikwangue a pris l'eau. Je ne peux plus continuer. Je parviens à me dégager à droite et à passer derrière le Palais du Peuple. Plus rien ne changera mon avis. Je regagne mes pénates
"L'homme ne vit pas que de pain." Oui, Seigneur, mais ce soir, il s'en contentera.
J'appelle un ami pour lui raconter ma déconvenue et lui demander comment faire pour remettre au plus vite une autre glace. Il part dans un long éclat de rires, de son rire cristallin et agaçant qu'il a toujours eu. Il finit par me dire, très sentencieux :
-Mon frère, tu as eu affaire à un voleur gentil. Il a eu la délicatesse de te prévenir de son forfait.
Ainsi soit-il.
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