L’Amphithéâtre B1 de la Faculté Polytechnique de l’Université de Lubumbashi a vibré ce mardi au rythme d’un atelier d'une bonne densité intellectuelle en ingénierie scientifique et éducative au Congo. L'activité a été ouverte par le Prof. Zeka Mujinga de Polytechnique à l'Université de Lubumbashi.
Le Professeur Michel Bisa Kibul de l'Incubateur du Génie Scientifique Congolais en est le facilitateur.
Les débats ont gravité autour des projets tutorés, mémoires de fin d’études, ainsi qu'au processus de valorisation des résultats des recherches, des innovations et des inventions, dans un contexte national urgent de transformation.
Les participants ont, entre-autre, reconnus :
1. Des problématiques nationales comme point de départ
Plutôt que de produire une recherche déconnectée, le Professeur Bisa a exhorté l’assemblée, composée d’étudiants pré-finalistes, enseignants-chercheurs, inventeurs, entrepreneurs et responsables publics, à faire des réalités congolaises la boussole centrale des projets tutorés et mémoires universitaires.
Sont cités comme axes prioritaires des problèmes à solutionner, notamment :
- La lutte contre la faim et l’insécurité alimentaire, par l’agro-industrie locale, l’innovation agricole et la valorisation des produits vivriers
- La réhabilitation des infrastructures publiques, par des solutions techniques réalistes utilisant des matériaux locaux et le savoir-faire endogènes,
- L'amélioration des conditions de vie et l’accès aux services de base, via des projets centrés sur la santé, l’énergie, l’eau, l'alimentation et l’habitat
- La déconstruction des antivaleurs et le changement positif des mentalités, par l’éducation citoyenne, les sciences sociales appliquées et les technologies de l’information, des biotechnologies, nanotechnologies, ...
- La pacification du territoire, à travers la recherche sur la gouvernance, la médiation, la construction de la puissance et de l'ardeur des services de sécurité et de défense ainsi que la résilience communautaire ;
- La valorisation des savoirs endogènes et des matériaux locaux, une ressource inexploitée qui pourrait redéfinir la trajectoire du développement national.
Entre Projets tutorés et Mémoires : clarifier les finalités
Une distinction méthodologique et stratégique a été faite entre projets tutorés et mémoires de fin d’études :
- Le projet tutoré est un outil de professionnalisation, souvent collectif, conçu pour répondre à un besoin réel d’une entreprise, d’une communauté ou d’une institution, société... Il s'inscrit dans une logique de résultat, de terrain et de solution concrète... Ces projets peuvent être individuels ou collectifs, mono disciplinaire ou pluridisciplinaires, ... Il relève souvent des recherches appliquées et actions aux objectifs pratiques et professionnels, opérationnels, avec un business plan.
- Le mémoire, quant à lui, est un exercice individuel de recherche scientifique, plus académique, centré sur une problématique théorique ou empirique, avec rigueur méthodologique et analyse critique. Il relève souvent des recherches fondamentales aux objectifs théoriques et conceptuels
Le Professeur Bisa insiste : “Les projets tutorés sont la passerelle entre l’université et le monde réel. Le mémoire est la preuve que l’étudiant a intégré la rigueur scientifique. Les deux doivent converger vers l'impact. Il est même possible de fusionner les deux logiques dans un même travail". - Michel Bisa, Atelier de Lubumbashi.
Vers une structuration entrepreneuriale des projets tutorés à l'ESURSI ?
Un accent particulier a été mis sur l’importance de structurer les projets selon des standards entrepreneuriaux :
- Le Business Model Canvas : pour clarifier les segments de clientèle, la proposition de valeur, les canaux de distribution, les flux de revenus, etc.
- Le plan d’affaires (business plan) : pour évaluer la faisabilité économique et technique
- L’étude de marché : pour comprendre les besoins réels, la concurrence, la chaîne de valeur et les parties prenantes.
Cette approche vise à doter les étudiants non seulement de compétences scientifiques, mais aussi de compétences entrepreneuriales, aptes à répondre à l'appel d’un Congo qui a besoin de bâtisseurs, pas seulement de diplômés.
Un dialogue nécessaire entre chercheurs, inventeurs, investisseurs et décideurs
Le Professeur Bisa a informé les participants qu'un écosystème fonctionnel est aujourd'hui implémenté entre les producteurs de connaissances et les acteurs de terrain. Car l’innovation n’est féconde que si elle est mise en lien avec le financement, le pilotage politique et l’investissement privé.
Il a ainsi informé que grâce à l'Incubateur du Génie Scientifique Congolais, structure technique du Min. ESURSI, un dialogue structuré est à ce jour opérationnel entre :
- Chercheurs (producteurs de solutions)
- Inventeurs et innovateurs (porteurs de technologies locales)
- Décideurs publics (porteurs des politiques)
- Entrepreneurs et investisseurs (porteurs de capital et de marchés)
- Partenaires de la RDC tant au niveau local, international que national.
Ce dialogue institutionnalisé sera renforcé au sein de plateformes multi-acteurs, comme les Comités de valorisation universitaire, ou les Forums de transfert technologique qui convergent vers le Forum du Génie scientifique Congolais font la session 2025 sera clôturée ce Samedi 30 août 2025.
Vers une évaluation rigoureuse et contextualisée des projets
Autre recommandations et débats avec les participants ont gravité autour des questions suivantes :
- Renforcer la compétence des jurys d’évaluation des innovations, inventions et résultats des recherches avec des référentiels adaptés et connaissances pratiques des domaines abordés.
- Des jurys mixtes, incluant académiques, professionnels, et parfois bénéficiaires cibles,
- Des tuteurs formés, capables de guider les étudiants non seulement sur le fond mais aussi sur la gestion du projet, les relations communautaires et l’impact attendu
L’incubation du génie scientifique congolais : une urgence nationale
L’atelier a mis en lumière la nécessité d’opérationnaliser et de soutenir l’Incubateur du génie scientifique congolais, une structure mise en place pour accompagner les innovations locales depuis l’idée jusqu’au marché.
Ce dispositif sera transmuté en une Agence Nationale de Valorisation des Résultats de la Recherche, chargée de :
- Recenser les résultats de recherche à fort potentiel tant à l'intérieur du Pays que dans la diaspora
- Créer et gérer les Prix, des brevets et protéger les innovations
- Faciliter le transfert de technologies aux entreprises
- Mobiliser des financements nationaux et internationaux.
LMD, formation à la carte et professionnalisation : le socle de la réforme
Le système LMD (Licence-Master- Doctorat), tel qu’implémenté, doit évoluer vers une formation à la carte, axée sur l’employabilité, la créativité et l’impact territorial.
Cela suppose :
- Des unités d’enseignement modulables, adaptées aux besoins du marché,
- Des formations courtes certifiantes (certificats, micro-credentials),
- Des partenariats université-entreprises pour les stages, les mentorats et les projets concrets.
En sommes : l’université doit devenir notre levier de souveraineté
Ce rendez-vous stratégique aura été un appel vibrant à repenser le rôle de l’université congolaise : non plus comme simple espace de transmission du savoir, mais comme moteur de transformation socio-économique.
Un cap a été donné : intégrer la recherche, l’innovation et l’entrepreneuriat dans une même dynamique de refondation du Congo. Un pays qui regorge de talents, de ressources et de savoirs, et qui n’attend plus que la structuration, la volonté et l’action collective pour se hisser à la hauteur de ses ambitions.
Après échanges, les participants reconnaissent la nécessité de formuler ces quelques recommandations issues de l’atelier :
- Créer des cellules de valorisation et des incubateurs dans chaque faculté et centre de recherche et les faires réguler par l'IGSC.
- Instituer un prix annuel et local du meilleur projet tutoré à impact social
- Créer une banque nationale de données des innovations locales,
- Intégrer le Business Model Canvas dans les curricula
- Nouer des partenariats actifs avec les incubateurs africains et au-delà,
- Former les tuteurs à l’accompagnement entrepreneurial.
Entre projets tutorés et Mémoires