Entre mémoire et Projet Tutoré
- Comment différencier un mémoire d’un projet tutoré ?
- Quelles sont les finalités de chaque démarche ?
- Comment structurer, encadrer et évaluer efficacement ces travaux ?
- Et quel avenir pour les étudiants dans un système encore en chantier ?
C’est à toutes ces questions que le Professeur Michel Bisa Kibul a apporté des réponses claires, à l’occasion d’un Atelier scientifique organisé le samedi 12 juillet 2025, l’Université Islamique au Congo (UNICO), en présence du Secrétaire Général à la Recherche (SGR), du corps académique, des étudiants finalistes et de plusieurs acteurs de l’Enseignement Supérieur.
I. Pourquoi distinguer le mémoire du projet tutoré ?
- Le mémoire, ancré dans le parcours de recherche, est une démarche scientifique classique en RDC. Il vise à décrire une réalité/un phénomène, à l'analyser, l'expliquer et l'interpréter comme un phénomène social, économique ou culturel. L’objectif est principalement théorique et conceptuel, avec une finalité généralement académique : c'est souvent une copie d'examen.
- Le projet tutoré, quant à lui, s’inscrit dans une logique professionnelle et appliquée. Il vise à proposer une solution concrète à un problème identifié et étudié dans la société ou dans une structure donnée. Il se matérialise souvent par un prototype, un business model ou un plan d’action opérationnel.
« Le projet tuteuré se distingue par un prototype tangible, un résultat palpable », a insisté le Prof. Bisa.
II. Le système LMD est-il réellement appliqué en RDC ?
Michel Bisa rappelle que l’adoption du système LMD (Licence, Master, Doctorat) par la loi cadre d'éducation de 2014 en RDC n'a pas été soutenue ni proposé lors des États Généraux de l’Enseignement Supérieur (EGESU-RDC-2021 - Lire Tshimpi et Bisa), avec l’ambition de réformer un système longtemps théorique, coupé des réalités du marché.
Mais selon lui, les experts avaient plutôt lancé une version adaptée appelée BMD (Bachelor, Maîtrise, Doctorat) à Lubumbashi, pour mieux répondre aux défis locaux, notamment l’employabilité des jeunes diplômés.
À ce jour, l’application de la réforme reste incomplète :
« Seules les maquettes des formations à la recherche (donc conduisant aux mémoires) ont été développées Les parcours professionnels manquent encore de maquettes, de contenus et de référentiels clairs.», dit le Prof. Bisa.
III. Pourquoi les projets tutorés peinent-ils à être mis en œuvre ?
Bien que le Ministère de l’ESU ait recommandé dès l’année académique 2024-2025 que les finalistes produisent des projets tutorés pour clôturer leur parcours, la mise en œuvre est difficile, si pas illogique.
Tenez :
- L'État n'a pas confectionné les maquettes des Licences et Maîtrises professionnelles... Peut-on formé les étudiants avec les maquettes de recherche pour les exiger de produire des projets tutorés ?
- Ni les enseignants, ni les étudiants n’ont été formés à cette nouvelle approche ;
- Les infrastructures techniques et les partenariats professionnels sont souvent absents pour plonger les étudiants dans les réalités industrielles, professionnelles ;
- Les obstacles pédagogiques et institutionnels freinent l’exécution des directives ministérielles.
IV. Peut-on mixer mémoire et projet tutoré ?
Oui, selon Michel Bisa, une approche hybride est possible, et même souhaitable. Elle consiste à :
- Conserver une première partie scientifique conforme aux standards académiques,
- Ajouter une seconde partie professionnelle, axée sur un projet concret répondant aux résultats de la recherche.
Ce modèle mixte permettrait de lier théorie et pratique, de favoriser l’innovation locale, et d’ancrer les universités dans des dynamiques de création d’emplois et de richesse socioéconomique.
V. Quelles sont les phases d’un projet tutoré réussi ?
Selon les explications fournies lors de l’atelier, un projet tutoré suit généralement quatre grandes phases :
- Phase d’initiation : identification d’un problème réel, étude de contexte, formulation du besoin, conceptualisation du projet. Cette phase de montage du projet peut être initiée soit par l'enseignant-tuteur, soit par un étudiant ou groupe d'étudiants. Une entreprise/industrie peut aussi commander un projet tutoré.
- Phase de maturation : étude de faisabilité, analyse de marché, modélisation de la solution, mise en place du prototype et sa certification.
- Phase de formalisation : rédaction du rapport final et évaluation devant un jury, lui-même composé des scientifiques et des experts du terrain, déploiement du projet sur le terrain, évaluation.
- Formation au guichet unique de création d'entreprises, protection par la propriété intellectuelle et la propriété industrielle, si applicable, démarrage de l'entreprise.
VI. Qui encadre et qui évalue les projets tutorés ?
- La partie scientifique du projet reste sous la responsabilité d’un professeur.
- La partie technique et professionnelle est accompagnée par un tuteur, (praticien, ingénieur, entrepreneur…), placé sous la responsabilité du Professeur.
L’évaluation des projets tutorés repose sur des grilles spécifiques, intégrant à la fois :
- la rigueur méthodologique,
- la faisabilité technique,
- la pertinence socioéconomique,
- et le niveau d’innovation et/ou invention (souvent évalué selon les niveaux TRL 0 à 9 - Technology Readiness Levels).
VII. Quelle place pour l’interdisciplinarité et les partenariats ?
Michel Bisa plaide pour un maillage fort entre universités, centres techniques, incubateurs, firmes industrielles et ONG.
Cette collaboration permettra de :
- proposer des problématiques réelles aux étudiants,
- bénéficier d’encadrements multidisciplinaires,
- faciliter l’implémentation concrète des projets.
Il rappelle que seul l’Observatoire de la Gouvernance (OG-UNIKIN-UPGI) a, à ce jour, publié un guide méthodologique sur les projets tutorés en RDC et, le Professeur Ildephonse Tshinyama de l'Unilu et de l'Agence Nationale de l'Assurance qualité a produit un article disponible en ligne.
VIII. Quelle employabilité derrière les projets tutorés ?
En misant sur les projets tutorés, l’université reconnecte les compétences des étudiants avec les besoins du terrain :
- Les étudiants développent des compétences techniques, entrepreneuriales et managériales.
- Les entreprises locales bénéficient de solutions pratiques, innovantes et peu coûteuses.
- L’État pourrait, à travers des structures comme le Fonds National de la RSIT ou l’Incubateur du Génie Scientifique Congolais, valoriser les innovations étudiantes.
Le Prof. Bisa a aussi proposé :
- une structuration des Mémoires et des projets tutorés
- un modèle de Business Canevas des projets tutorés
- un calendrier triennal d'accompagnement des projets tutorés de Licence
- un chepas d'accompagnement utilisé à l'IGSC
- les bonnes pratiques d'accompagnement des projets tutorés
- - etc.
Un appel à l’action : participez au Forum du Génie Scientifique Congolais 2025
En clôture, le Professeur Michel Bisa a interpellé les autorités de l’UNICO, notant leur absence aux précédentes éditions du Conclave (2023) et du Forum du Génie Scientifique Congolais (2024).
Il a invité étudiants et chercheurs à s’inscrire massivement pour l’édition 2025, dont le lancement officiel aura lieu ce lundi 14 juillet 2025, sous le patronage du Ministre de la Recherche Scientifique et Innovation Technologique, Dr Gilbert Kabanda.
En conclusion : quel avenir pour les finalistes de 2025 ?
Alors que l’année académique touche à sa fin, le dilemme persiste : mémoire ou projet tutoré ?
Les défenses vont dans deux directions opposées, contradictoires et paradoxales. Certains ont fait des Mémoires qu'ils appellent projets tutorés, par respect à l'instruction ministérielle. D'autres ont carrément fait des Mémoires, conformément aux maquettes disponibles.
Le Professeur Michel Bisa propose une voie médiane, progressive et contextualisée, en tenant compte des réalités actuelles :
- Permettre aux étudiants en formation scientifique de finaliser avec un mémoire ;
- Encourager progressivement les filières professionnelles à intégrer les projets tutorés ;
- Former les enseignants, équiper les institutions, et mettre en œuvre un écosystème d’innovation cohérent ;
- Finaliser les maquettes de formation en Licence et Master de recherche et professionnelles et faire les contenus minimums pour chaque parcours, cours, ...
À retenir :
« Le projet tutoré ne vient pas remplacer le mémoire, mais répondre à une autre logique : celle de l’action, de la solution, de l’innovation. Il est le pont entre l’université et la société. ». Michel Bisa Kibul, Moluki pe Motangisi
Lire, Antoine Tshimpi et Michel Bisa Kibul, États Généraux de l'ESU en RDC (Dir'), Academia, Louvain-la-Neuve, 2025.
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- Etats généraux de l’ESU, rapport général et socio-anthropologique des coulisses, résistances et perspectives de la réforme en RDC. (50 Usd)
- Gouvernance foncière en RDC. Du pluralisme institutionnel à la Vampirisation de l’Etat (50 usd)
- Valeurs et symboles de la République (5usd)
- La terre et les ressources foncières dans la doctrine sociale Kimbanguiste (40 usd)
- Nexus Climat-Eau-Migrations et Conflits dans la Bassin du Congo (100usd)
- Ecriture scientifique assistée des Logiciels anti plagiat et de l’Intelligence artificielle (5usd)
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- Vade Mecum des Enjeux Politiques, Administratifs et Sécuritaires de la RDC (10 usd).
Par la Cellule de communication et vulgarisation de l’OG
Publié le 12 juillet 2025
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